Le terroriste qui s’est suicidé mardi soir n’avait que 23 ans. En 2011, lorsqu’une page de l’histoire de la Tunisie s’est tournée, il n’avait qu’une quinzaine d’années. Entre 2011 et 2015, pendant les années sombres où la Tunisie faisait face à une vague d’attentats sans précédent, le flottement politique a laissé le champ libre aux prédicateurs de la mort pour endoctriner les jeunes, dont beaucoup sont même partis dans les zones de conflits. Depuis 2015, le ministère de l’Intérieur semble avoir repris les choses en main, en attestent les nombreux coups de filet dans les rangs des terroristes et le démantèlement quasi-quotidien de cellules takfiristes. En parallèle, dans les médias, dans les établissements éducatifs, dans les milieux culturels et la société civile, on a commencé à travailler sur cette thématique pour prévenir le fléau de l’extrémisme violent et protéger les jeunes des discours de haine.
Internet et le danger venu d’ailleurs
Pourtant, les attentats ratés de jeudi dernier et le suicide du jeune terroriste Aymen Smiri montrent que l’endoctrinement et l’aveuglement d’une certaine jeunesse se poursuivent. Qui en est responsable ? Selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Sofiane Zâag, la menace et l’endoctrinement viennent de plus en plus de l’extérieur de nos frontières. Si, il y a quelques années, le discours extrémiste et le recrutement de candidats terroristes se faisaient dans les cafés du coin ou entre deux prières devant la porte d’entrée des mosquées, les recruteurs agissent aujourd’hui sournoisement sur les réseaux sociaux. « Avant, on interdisait à nos enfants de fréquenter
n’importe qui dans le quartier, aujourd’hui il est important que les parents s’inquiètent lorsque leurs enfants s’isolent et plongent sans modération dans le monde virtuel », avertit Sofiane Zâag.
De son côté, Jihed Haj Salem, sociologue et coauteur en 2016 d’un ouvrage intitulé « Jeunes et jihadisme », ne souhaite pas « surestimer » le pouvoir d’Internet et des réseaux sociaux dans le recrutement des terroristes. « Les recherches démontrent que sur les réseaux sociaux, les gens discutent majoritairement avec ceux qu’ils connaissent dans la vraie vie », explique Jihed Haj Salem. S’il est d’accord pour dire que depuis quelques années, les choses ont été reprises en main et que l’étau s’est resserré autour des organisations terroristes, que ce soit en termes de financement ou d’espace d’action, le sociologue tient à rappeler que les racines profondes du malaise d’une partie de la jeunesse depuis 2011 sont toujours là. « Le faible degré de confiance dans les institutions et la dégradation des conditions économiques des jeunes, notamment des les milieux précaires, doivent alarmer », dit-il.
Ces jeunes qui «fuient»
Selon lui, la forte augmentation des jeunes consommateurs de drogue, l’alcoolisme chez les jeunes, la tendance au suicide, la «harga» et le terrorisme sont des phénomènes indissociables. « Il s’agit toujours dans ces cas-là d’une volonté de fuir sa condition », explique Jihed Haj Salem.
Malgré son très jeune âge, le terroriste Aymen Smiri, issu du quartier populaire Ibn-Khaldoun dans la capitale, était l’un des cerveaux des attentats ratés de jeudi. Il disposait d’une quantité non négligeable d’explosifs. Mais que se passe-t-il dans la tête d’un terroriste déterminé ? Il s’agit toujours de fuite, selon notre interlocuteur. Les terroristes-kamikazes cherchent avant tout à fuir. A travers l’attentat-suicide, ces gens-là cherchent à donner un sens à leur suicide. « Au fond, ils fuient leur réalité et même leurs propres personnes ».
Pour sa part, Moez Ali, président de l’Union des Tunisiens indépendants pour la liberté (Util), qui travaille notamment dans les quartiers populaires sur la thématique de la prévention de la radicalisation, estime qu’en dépit de tous les efforts, la prévention est insuffisante. « Nous n’avons pas jusqu’à présent les mécanismes nécessaires, que ce soit en milieu éducatif ou dans les cités, pour détecter les cas de radicalisation et alerter ».
« Pour se faire sauter, il faut une grande détermination, qui n’est pas facile à trouver chez un jeune de 23 ans, cela veut dire qu’il a sans doute subi des années d’endoctrinement, et pendant ce temps-là, personne n’a pu prévenir ce dérapage », note Moez Ali. Le président de l’association Util met en garde contre une normalisation de la violence et l’émergence d’une génération vulnérable. « La réactivité de l’Etat dans l’affaire de l’école cora- nique de Rgueb est pour moi un exemple à suivre. Aujourd’hui, les enfants ont repris le chemin de l’école publique, explique-t-il. Il faudrait généraliser cette approche ».